Article – L’autorité : entre pouvoir et responsabilité, entre fermeté et souplesse
Cet article est issu du numéro 212 de la revue Alternatives Non-Violentes (ANV)
Alternatives Non-Violentes (ANV) est la plus ancienne et une des rares revues francophones entièrement consacrées à la non-violence ! Depuis 1973, elle fait collaborer des militants de terrain, des pédagogues et des chercheurs.
Depuis, tous les 3 mois, ANV analyse les dynamiques non-violentes en attirant l’attention sur les dimensions éthique, politique, économique, sociale et écologique des événements. Elle donne des clés de compréhension sur les fondements de la non-violence. ANV est une revue engagée à l’attention de celles et ceux qui souhaitent agir pour améliorer le vivre-ensemble et favoriser la transformation sociale.ANV est une revue illustrée avec des dessins d’humour.
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L’autorité est au cœur des débats dans le champ éducatif comme dans le champ professionnel. À la fois demandée et honnie, elle est souvent confondue avec le pouvoir. Cet article propose d’éclairer ces concepts et d’en montrer l’application dans des situations professionnelles rencontrées lors de nos formations et accompagnements d’équipes, ainsi que dans notre propre gouvernance associative.
Faire autorité, de quoi s’agit-il ?
Trois piliers fondent l’autorité d’une personne : les compétences associées à l’expérience, la légitimité et des facteurs culturels. « Autorité » vient du terme latin auctoritas (distingué de la potestas, le pouvoir) issu de augere : faire naître, augmenter, être auteur. Nous voyons déjà là l’un des fondements de l’autorité, lié à ce que la personne a fondé, réalisé, ou peut faire naître par ses compétences, son savoir, son expérience. Faire autorité est sans cesse remis sur le métier : en tant que formatrices, nous savons bien que nous devons en permanence nous renouveler, nous questionner, élargir nos compétences pour continuer à faire autorité dans notre domaine.
L’autorité reconnue d’une personne est également liée à sa légitimité (le leg, la loi), donnée par autrui (par exemple, son statut, son contrat de travail, la manière dont elle a été présentée dans sa prise de poste). Le dernier pilier du triangle représente les facteurs socio-culturels (genre, âge, position sociale, etc.) sur lesquels nous n’avons pas prise individuellement.
Ainsi, en milieu professionnel, un responsable peut améliorer sa capacité à faire autorité en s’appuyant sur la légitimité donnée lors de son embauche et sur ses compétences. Ces compétences concrètes sont liées à son expérience (par exemple, avoir été éducateur avant d’être chef de service), à la capacité à écouter ses collaborateurs, à poser et tenir un cadre sécurisant, à être cohérent (certains diraient exemplaire dans l’application des règles), et tout autre compétence qui lui permettra d’être crédible et reconnu.
L’autorité n’est pas le pouvoir
Le pouvoir est la capacité à avoir des effets (le pouvoir de prendre une décision), ou à exercer une contrainte sur une personne. « Pouvoir de » et « pouvoir sur » font ainsi appel à deux notions distinctes : autant le pouvoir d’agir de chacun est une notion clef dans toute action éducative ou d’accompagnement, autant le « pouvoir sur » fait écho à des situations d’abus de pouvoir et
Faire autorité ne suppose pas toujours la contrainte, contrairement au pouvoir. Cependant, lorsque l’on est en position de responsable d’équipe (chef de service, directrice, etc.), la contrainte est parfois nécessaire pour faire respecter les règles de fonctionnement d’une institution. Si la personne exerçant le pouvoir fait autorité, la contrainte reste faible : un simple rappel des règles peut suffire. Dans le cas contraire, la contrainte est élevée et l’autoritarisme guette.
L’autorité dans l’action éducative en institution
En milieu professionnel, le responsable d’un groupe est garant du cadre : il rappelle les règles, les explicite, les soutient, réagit aux transgressions, répond à une demande par un interdit ou une autorisation, etc. L’autorité est collective : chacun agit, l’éducatrice, le chef de service, la directrice, etc., en s’appuyant sur sa capacité à faire autorité et à exercer des contraintes si nécessaire.
Dans l’action éducative il est important d’intégrer les trois courants de l’autorité explicités par Véronique Guérin[1] : poser des limites (courant autoritaire : la même règle pour tous), l’expliciter (courant rationnel), tout en faisant preuve de souplesse et d’adaptation aux cas particuliers (courant axé sur l’écoute). Cela nous donne des repères pour poser des sanctions réparatrices[2].
Ainsi, par exemple, si un enfant joue au ballon en dehors du terrain de jeu et casse un carreau, il peut d’abord être écouté, pour comprendre son intention positive. Cette notion est fondamentale. Nous pensons comme Daniel Favre[3] que « toute personne a une bonne raison de faire ce qu’il fait ». Dans cet exemple, l’enfant indique que lorsqu’il est sur le terrain, les plus grands lui prennent son ballon. Il veut donc jouer tranquille, c’est son intention positive. La solution qu’il a trouvée est de jouer ailleurs. On peut alors lui rappeler la règle et voir comment il peut répondre à son intention positive tout en respectant la règle. Et on peut lui demander de réparer les dommages causés (participer à la réparation du carreau avec la personne chargée de l’entretien). Ces étapes de la responsabilisation sont indispensables si l’on veut que l’enfant intègre le sens de la règle Il n’est pas nécessaire de morigéner l’enfant, ni d’exercer une contrainte forte. En revanche, le savoir-faire dans le dialogue avec l’enfant, notamment l’écoute de son intention profonde, est primordial.
Sanctionner des adultes ?
En foyers pour adultes porteurs de handicaps, nous rencontrons souvent des responsables qui associent sanction à punition et refusent de sanctionner. Il faut en effet distinguer la punition, qui vise à soumettre l’autre, quitte à lui faire mal pour asseoir autorité et pouvoir dans un rapport de domination, et la sanction, qui vise à confirmer la règle, réparer les éventuels dégâts causés, responsabiliser l’auteur de l’acte, sans le confondre avec l’acte lui-même. En quelques mots, nous visons à sanctionner un vol, plutôt que de punir un voleur. Dans la vie quotidienne, tous les adultes vivent des sanctions ou des punitions (comme en cas d’excès de vitesse en voiture).
Prenons une situation vécue : dans un foyer accueillant des adultes atteints de déficience, un homme se fait trop pressant auprès d’une femme et se fâche fort devant son refus, avant que les éducateurs interviennent. Plus tard, il explique qu’il ne comprend pas : elle est sa copine, elle était d’accord, maintenant elle ne l’est plus. La responsabilisation consiste alors à lui rappeler les règles en leur donnant du sens. On peut l’aider à repérer les signes et les mots qui disent qu’une femme est d’accord ou pas (certaines résidentes ayant parfois des difficultés à dire « non »). On peut trouver avec lui une action réparatrice en lien avec ce qu’aime cette personne (prêter un objet, faire un cadeau…), de manière à lui faire expérimenter une relation où il est à l’écoute de l’autre. Instaurer un dialogue aide à une meilleure compréhension mutuelle.
Faire tout cela, c’est faire usage d’une autorité qui associe fermeté et souplesse, basée sur des compétences d’écoute et d’expression bienveillante.
L’excès de cadre
Comme le rappelle Marlis Portner[4], l’accompagnement d’une personne, adulte ou non, doit être centrée sur le maximum d’autonomie possible. Par exemple, une résidente en maison de retraite refusait obstinément de se lever, jusqu’au jour où un professionnel lui a donné un réveil, avec la possibilité de se lever entre 7h15 et 8h. Elle avait besoin d’une parcelle d’autonomie. L’excès de cadre est un excès de contrôle, qui vise souvent à réduire les inquiétudes (voire les angoisses) de ceux qui le posent mais enlèvent à l’autre du pouvoir d’agir.
Dans la vie d’un groupe, d’une équipe
Dans notre monde instable, complexe, incertain, l’équipe la plus adaptable et la plus résiliente est celle dont les membres coopèrent, avec des pouvoirs clairement définis et des responsabilités inhérentes à ces pouvoirs, la responsabilité étant définie comme la capacité d’agir en ayant conscience des conséquences. La coopération permet d’amplifier l’intelligence et la créativité du groupe, dans le sens où 1+1 est supérieur à 2, comme l’hydrogène et de l’oxygène liés ensemble constituent l’eau.
La coopération n’exclut pas les différences de statut : une gouvernance hiérarchique peut être le socle d’un travail coopératif dans la mesure où, d’une part, les périmètres de chacun sont clairement définis et assumés, et où d’autre part toutes les actions à tous les niveaux sont porteuses des buts communs du groupe. Cela suppose que n’importe quel membre du groupe est en capacité de formuler en quoi ses actions sont liées au but commun, mais également d’objecter sur des actions qui ne le seraient pas. Ainsi, si l’on ramène à la question de l’autorité, la subordination n’est pas nécessairement de la soumission : il y a interdépendance, et les décisions de l’un sont soumis à l’accord de l’autre. Cela peut être vécu négativement (un « pouvoir sur » appelant la soumission) ou positivement (avec de la gratitude pour celui ou celle qui prend la responsabilité correspondante). Les managers respectés et considérés comme soutenant sont ceux qui font autorité sans autoritarisme.
Une posture d’autorité à travailler
Dans tout groupe et la vie de tous les jours, il est intéressant de gagner en compétence sur sa posture d’autorité : comment incarner, dans son langage non-verbal, qui traduit l’intention profonde, une véritable ouverture à chacun, dans le respect et l’accueil inconditionnel des personnes, avec un positionnement clair et affirmé sur le cadre ? Comment ouvrir la parole, écouter les propositions, s’appuyer sur le groupe et l’intelligence collective, sans mettre de côté ses responsabilités dans les décisions finales ? Certes, tout cela nécessite des aptitudes de communication verbale, mais avant tout une forme de tranquillité intérieure et une cohérence entre son discours et ses actes.
Le corps parle, et notre propre corps nous parle : la « position de superwoman », proposée suite aux travaux d’Amy Cuddy[5], qui consiste à avoir une posture physique droite, pieds écartés et mains sur les hanches, agit sur notre cerveau et lui fait croire que nous sommes puissants (après 2 minutes d’une telle position, notre taux de testostérone augmente, celui de cortisol, hormone du stress, diminue). D’autres techniques, comme l’ancrage par la respiration, nous conduisent à trouver une posture qui associe fermeté et souplesse, dans toutes les dimensions du langage.
Les psychopathologies de l’autorité et les limites de ce que peut faire le responsable
En lien avec nos histoires de vies, certaines personnes ont développé des liens pathogènes à la contrainte et donc à l’autorité. D’après Ariane Bilheran[6], les personnes ayant un lien serein et équilibré à l’autorité sont finalement peu nombreuses dans nos sociétés. Elle distingue trois grands types de pathologie : la pathologie tyrannique (le contrôle exercé sur autrui a pour objet de réduire l’angoisse de l’auteur), l’obéissante (impossibilité de désobéir, comme l’ont montré les expériences de Stanley Milgram) et la rébellion contre toute contrainte. Dans ce dernier cas, elle distingue les personnes acceptant la contrainte de personnes qui font autorité et dont les décisions sont justes, des personnes rejetant le principe d’autorité. Quand un responsable est « pris » dans ces pathologies, lui-même ou certains de ses collaborateurs, il peut être très difficile de dépasser les oppositions si cela n’est pas travaillé par ailleurs.
La gouvernance partagée de l’Ifman Co
Les systèmes de gouvernance partagée, en distinguant les rôles des personnes qui les occupent, posent différemment la question du pouvoir et de l’autorité.
À l’Ifman Co, l’AG élit les membres du Comité d’Animation et de Pilotage (équivalent du CA), composé de 9 bénévoles et des 3 coordinatrices d’antennes. Chargé d’acter les grandes orientations, le CAP délègue sa responsabilité financière au cercle « Gestion Administration et Finances », et sa responsabilité d’employeur au cercle « Richesse Humaines », tous composés de bénévoles et salariés. D’autres cercles plus opérationnels permettent de mener l’activité.
Les membres d’un cercle portent conjointement la responsabilité du cercle, avec un rôle spécifique pour certaines personnes. Des personnes peuvent être dans plusieurs cercles avec des niveaux de responsabilité différentes. Les décisions sont prises en gestion par consentement. Ainsi, les positions asymétriques mouvantes réduisent les risques de prise de pouvoir et conduisent à partager les responsabilités qui ne sont plus le fardeau d’une seule personne. Au final le système est plus résilient, moins fragile en cas de départ d’une personne-clef.
Instaurée il y a 4 ans, cette gouvernance exige une constante amélioration. Décider à plusieurs nécessite parfois plus de temps pour s’accorder, mais « ensemble on va plus loin ». Si tout n’est pas parfait, il ressort une satisfaction générale du fonctionnement qui permet une belle dynamique pour mener de front tous les projets.
Les formations Ifman autour de la question de l’autorité
Dans ses formations sur l’autorité, la posture éducative ou la contenance, l’Ifman travaille les deux bouts de la relation : le cadre et la communication, autrement dit, tenir le cadre et prendre soin de la relation.
Fidèle à notre pédagogie interactive, nous l’appréhendons d’abord de manière pragmatique, en proposant des exercices interactifs comme celui des 3 cadres. À partir de situations vécues par les participants, elle est déclinée sous ses différents aspects pour comprendre les éléments qui la composent et s’entraîner à l’exercer. Faire respecter le cadre nécessite au préalable de s’être mis d’accord collectivement sur les règles non-négociables. Une règle tient aussi par la qualité de la relation, travaillée par des saynètes et des mises en situation. Par des exercices corporels, nous développons la posture d’ancrage, posture essentielle pour asseoir son autorité et amener de la sécurité à un groupe. Faire autorité, c’est savoir faire circuler la parole et réguler les tensions au sein du groupe dont on a la responsabilité. Dans les formations pour les managers, le sujet est très présent.
Finalement, presque toutes les formations Ifman vont aider tout un chacun à développer sa propre posture d’autorité.
Contactez nous pour plus d’informations
Pour commander la revue ANV sur l’autorité
Fabienne BONY, Coordinatrice antenne Centre-Est
Annie LE FUR, Coordinatrice pédagogique
Septembre 2024
[1]Guérin Véronique, À quoi sert l’autorité ? S’affirmer – respecter – coopérer, Lyon, Chronique sociale, 2003.
[2] Élisabeth Maheu, Sanctionner sans punir, Lyon, Chronique sociale, 2024 (8ième édition).
[3] Daniel Favre, Transformer la violence des élèves, Paris, Dunod, 2019. Voir aussi transformerlaviolencedeseleves.com
[4] Marlis Pörtner, Écouter, Comprendre, Encourager, Lyon, Chronique sociale, 2010
[5] https://www.tedxlannion.com/votre-langage-corporel-forge-qui-vous-etes-amy-cuddy/
[6] Ariane Bilheran, Psychopathologie de l’autorité, 2020, Dunod,