Autorité et adolescence
Une question récurrente…et quotidienne
Aussi bien chez les professionnels travaillant auprès d’adolescents que chez les parents à l’intérieur du groupe familial, la question est récurrente, convoquant parfois chez l’adulte- éducateur, désarroi, culpabilité et colère : quelle autorité avoir avec les adolescents et comment l’exercer dans une moindre violence ?
Une étape indispensable… et conflictuelle
« Ils » sont en pleine mutation (« saleté de boutons ! Je suis trop gros/grosse… »), provoquent, transgressent (« c’est à cette heure-ci que tu rentres ? »), se mettent en danger… ou les autres, se sentent mal aimés (« vous en avez toujours après moi »), la liste n’est pas exhaustive. L’adolescence est une étape de transition indispensable pour laisser l’enfance derrière soi, elle est vécue comme un moment difficile et souvent conflictuel pour le jeune et son entourage, et pour ceux qui ont mission d’autorité sur lui.
Période de transition où le corps change, véritable mue (« le complexe du homard » de Françoise Dolto), les rythmes de sommeil ne sont plus les mêmes et différents de ceux des adultes ; tout ce que vit l’adolescent dans ses émotions l’est de manière amplifiée : joies, colères, tristesse, peurs, blessures…
Période de transition dont il a besoin pour se construire en tant que futur adulte ; et cela signifie entre autre « s’opposer » pour s’affirmer. Mais là où la réalité est complexe, c’est que ces règles qu’il va vouloir bousculer, cette autorité qu’il va remettre en cause, il en a ABSOLUMENT BESOIN parce qu’on ne peut pas s’appuyer contre du vide.
C’est l’image du mur : l’adolescent qui frappe contre le mur ne VEUT pas le voir s’écrouler, il veut le voir solide. Alors oui, il va mettre à l’épreuve ces limites, l’affection aussi, il va aller là où ça fait mal pour les parents ou tout éducateur, il ne va pas faire plaisir, d’où des comportements difficiles à supporter. En plus, comme il veut prendre de la distance avec ses anciens repères, il peut passer à l’acte et se mettre en danger. Exemple : cette fille d’avocats qui va commettre un délit puni par la loi ou bien ce fils d’enseignants en rupture scolaire.
Forcément, ça crée des conflits…
Cela va faire mal aussi pour lui parce qu’il quitte une période de sa vie et que cela le culpabilise.
Cet éloignement donne de l’importance à sa nouvelle « tribu » comme la quête d’une nouvelle identité : les copains, la bande, les vêtements, le langage. C’est important de remettre quelquefois les choses en place à cet endroit : « d’accord, avec tes copains tu peux parler comme ça, mais pas ici ».
D’autres adultes ont quelquefois un rôle bienveillant à jouer (plus facile certainement) de tiers ou de modèles.
Une difficulté également et qui parle d’éloignement, c’est celle des repères. On entend des paroles comme « les jeunes en savent plus dans certains domaines que leurs parents » ou « les jeunes n’ont plus de repères ».
Peut-être que la question n’est pas tant celle du savoir ou des repères que celle d’adolescents qui se construisent, non contre les adultes, mais en dehors d’eux.
Que savez-vous de ce qu’ils regardent, ce qu’ils font, du contenu de leurs jeux, leurs amis?… Le parent ne peut pas être dans l’illusion de tout contrôler.
Ce détachement parle de la future vie autonome de l’adolescent et c’est vrai qu’il a besoin d’être accompagné par des adultes sécurisants, besoin d’être, non pas épié, mais écouté, besoin d’être pris au sérieux même s’il refait le monde ; même si ses propos ne construisent pas une réalité tangible, lui se construit.
Besoin aussi d’être valorisé. C’est important de ne pas gâcher son plaisir par des réflexions comme « attends tu verras, c’est pas si simple, quand tu auras vécu un peu». Quoi de plus difficile et niant que de s’entendre dire « il faut bien que jeunesse se passe ».
Il est donc indispensable que l’autorité des parents et autres adultes soit affirmée parce que c’est une barrière de sécurité qui permet de ne pas transformer le conflit en violence. Laisser un adolescent sans limite c’est lui faire croire qu’il peut être dans la toute-puissance d’une liberté fantasmée et le laisser ainsi dans une angoisse destructrice pour lui-même et le groupe.
Avoir l’autorité, c’est l’exercer à l’intérieur d’un cadre
Eduquer, c’est donner la possibilité à un enfant et à un adolescent d’avoir « autorité » sur sa propre vie, c’est l’amener vers un projet de vie dans lequel il pourra s’approprier ses capacités d’autonomie donc de responsabilité. Mais cela passe forcément par l’autorité exercée sans laxisme ni autoritarisme par l’adulte. Oui, l’autorité est une mission qui s’exerce au quotidien à l’intérieur d’un cadre, de règles dont le sens profond est de dire à l’adolescent : « tu vis avec nous, nous allons te donner les moyens de rendre possible cette vie-là ».
Trois pôles dans la mission d’autorité
Une mission basée sur 3 principes d’action respectueux de chacun dans les valeurs de non violence.
L’autorité, c’est :
- 1. Garantir la protection de soi, de l’autre, du groupe
Etre en sécurité est un besoin fondamental pour chacun. Pour un adulte, garantir la sécurité signifie mettre un cadre, donner des règles. Le cadre informe, il protège et libère… si l’adulte y donne du sens. Que les règles soient parlées, expliquées est une clé pour l’adolescent dans sa relation au monde : sans le sens, le risque est qu’il y ait soumission de l’adolescent au cadre et non adhésion. Et là où la soumission ne crée qu’un sentiment de crainte donc d’incompréhension, d’injustice et à terme, de colère, l’adhésion aux règles, même contestées, même contraignantes créera un sentiment de responsabilité, indispensable pour aller vers l’autonomie.
- 2. Proposer un projet éducatif et le faire vivre
Stimuler, organiser les projets et y donner du sens, c’est permettre à l’adolescent de montrer ses capacités, d’être créateur et responsable car lui aussi pourra s’approprier des actes dans ce qui rend la vie en société constructive. C’est aussi satisfaire son besoin de reconnaissance car exister à l’intérieur d’un projet c’est pouvoir dire « j’y suis, là, à cet endroit de ma vie ».
- 3. Donner sa place à chacun.
On sait tous quelque chose de la vulnérabilité de l’adolescent dans ses ressentis ; face au jugement de ses pairs ou des adultes, il peut y avoir blessure, ressentiment, et perte de confiance. Autoriser l’autre dans l’exercice de sa parole, qu’il puisse exister au regard des autres sans craindre d’être jugé, c’est lui permettre de donner son avis, peser sur la part de sa vie où il se sent DÉJĀ responsable.
Prendre appui sur ces 3 pôles en se posant la question « l’acte que j’ai posé est-il dans ma mission d’autorité ? » permet de se recentrer sur son intention d’adulte (« ce n’est pas du caprice de ma part quand je te demande de rentrer plus tôt, de faire moins de Playstation… ») et surtout de se déculpabiliser puisqu’il est bien entendu qu’éduquer n’est pas (nécessairement) faire plaisir…
Négociable ou non négociable ?
Si l’autorité est bien une force de contrainte, les règles du cadre peuvent cependant évoluer, être négociées parce que l’adolescent a besoin de vérifier que l’adulte sait lui donner de la place pour une plus grande autonomie.
Les parents avec les ados ont souvent deux souhaits : à la fois qu’ils obéissent et à la fois qu’ils soient responsables.
« Il faut que tu fasses tes devoirs, ton travail…fais tes devoirs…tu devrais y penser tout seul, être responsable…je ne devrais pas avoir besoin de te le dire… »
C’est à la fois : fais ce que tu veux, tu es responsable mais à condition que tu fasses ce que je te dis de faire.
Communication complètement contradictoire pour l’ado où il doit faire de sa propre initiative ce que les adultes ont décidé pour lui.
Comment sortir de ce paradoxe qui fait que l’ado ne fait plus rien ?
Pour sortir de ce discours, c’est bien d’identifier 2 espaces :
- L’espace d’autorité détenu légitimement par les parents (règles négociables ou pas, sanctions)
- L’espace de responsabilité, d’autonomie de l’adolescent, un cadre qui peut grandir avec lui en fonction de ses capacités et peut construire l’estime de lui-même.
« Si tu es responsable de ta chambre, je ne m’en mêle plus pour te rappeler ce que tu as à faire… si tu es responsable de l’argent pour t’acheter tes vêtements, on est d’accord sur le budget accordé et c’est toi qui fais et choisis. »
Jouer la confiance car le contrat est clair, ce qui n’empêche pas de faire le point de temps en temps, et ce qui n’empêchera pas l’ado de tirer des pieds, de vérifier, de tester, en fait si c’est bien vrai cette autonomie qu’on lui accorde.
Répondre à la transgression
Tout adolescent transgresse à un moment ou un autre la loi ou la règle.
Mais la transgression qui signifie « passer la limite », doit obtenir une réponse car elle est deux questions :
- Elle est une question à la règle pour l’ado : à quoi elle sert ? est-ce qu’elle a du sens ? qu’est-ce qui va se produire si je ne la respecte pas ? est-ce qu’elle est utile (toujours le sens) ?
- Elle est une question au garant de la règle, au parent : qu’est-ce qu’il va me dire ? qui suis-je pour lui ? qu’est-ce qu’il m’est impossible d’obtenir sans passer par l’adhésion de l’autre ?
Tenir les règles, donc les garantir, c’est passer forcément par la sanction lorsqu’il y a transgression (cf. lettre de l’Ifman novembre 2011, article « sanction » par Annie Déan).
Parce qu’ éduquer, c’est conduire dehors (ex ducere), l’objectif d’un projet éducatif c’est bien, avec une cohérence à tous les niveaux (autorité positive, cadre, sanction éducative), permettre à l’enfant puis à l’adolescent d’être assez fort, assez solide pour aller vers les autres, vivre sa vie de façon autonome avec la capacité d’affronter les frustrations et les difficultés qu’il ne manquera pas de rencontrer sur sa route. C’est l’accompagner vers le futur projet de vie qu’à son tour il s’autorisera de créer.
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Télécharger l’article Autorité et adolescence, Isabelle Jabaud, novembre 2012